Le nez d’un chien a 300 millions de récepteurs olfactifs, alors que nous en avons environ 6 millions. Les chiens sentent la peur et la joie, la maladie et les orages, la nourriture et le sexe, le passé et la distance, les émotions et les souvenirs.
L’autre jour, je marchais tranquillement avec Shylock, notre chien-loup tchécoslovaque, sur la place du village. Je fais toujours une grande impression à ses côtés, et je confesse un plaisir enfantin à me montrer avec lui : les réactions sont presque toujours d’admiration inconditionnelle, rarement de peur. D’un autre côté, la promenade est toujours très équilibrée et ignore généralement les chiens et les humains. Mais l’autre jour, soudainement et sans raison apparente, Shylock s’est retourné et a commencé à grogner après une femme qui marchait derrière nous. Un loup qui grogne, même en laisse, n’est pas une expérience très agréable. J’ai essayé de le calmer et je me suis immédiatement excusé auprès de la dame. Elle, évidemment habituée à de telles situations, répondit de ne pas s’inquiéter : » J’ai très peur des chiens et ils le sentent« .
La peur chez le chien est un état d’esprit qui peut précéder une attaque.
Avec Bonnie, par contre, j’ai vécu une expérience tout à fait opposée. Réunie avec deux sœurs alors qu’elle avait encore les yeux fermés, notre chienne Berger des Abruzzes a été sevrée par Paola, une dame d’un village voisin, avec l’aide sporadique d’une amie. Paola est alors venue lui rendre visite chez nous, et d’autres fois nous nous sommes rencontrés dans le village : et toujours la joie de Bonnie (et aussi de Paola, pour dire la vérité) était et est incontrôlable. Pour l’instant, rien d’étrange. Un jour, cependant, je vois l’amie de Paola sur la place et je m’approche pour la saluer et lui montrer Bonnie, qu’elle n’avait jamais revue depuis l’âge de deux mois. Bonnie commence à sentir ses jambes, comme n’importe quel chien le fait avec n’importe quel humain, et comme elle sent, elle semble vouloir sentir de plus en plus, tandis que la queue se lève d’abord et ensuite commence à remuer, et maintenant même le corps est agité dans une explosion de joie… La séquence entière durera environ cinq secondes : Bonnie l’a reconnu un an et demi après en reniflant sa jambe.
Les chiens sentent la peur et la joie, la maladie et les orages, la nourriture et le sexe, le passé et la distance, les émotions et les souvenirs.
S’il est bien entraîné, un chien peut reconnaître un explosif parmi des centaines, sentir un fugitif à des kilomètres et même détecter un enfant enfoui sous les décombres d’un bâtiment. Les chiens se construisent une image olfactive à partir de chaque chien ou humain qu’ils rencontrent, qui restera à jamais gravée dans leur mémoire : même la mémoire est donc une odeur, et la mémoire qui chez le chien n’est activée que si elle est stimulée dans le moment présent. La seule dimension temporelle dont ils sont conscients est un processus olfactif.
Même la distance et l’emplacement spatial sont une odeur, ou plutôt une sorte de trigonométrie des odeurs : chacune des narines est en effet plus petite que la distance qui la sépare de l’autre, ce qui permet au chien de percevoir des odeurs différentes pour chaque région spatiale, qui sont ensuite combinées par le cerveau dans une image olfactive pour ainsi dire en trois dimensions, qui incorpore direction et distance.
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Quelles sont les différences entre l’odorat du chien et celui de l’homme?
Pour comprendre la supériorité du chien il suffit de savoir que le nez d’un chien possède 300 millions de récepteurs olfactifs, alors que nous n’en avons environ que 6 millions. Et qu’une fois au cerveau, l’information recueillie par les récepteurs est traitée par un cortex olfactif qui occupe 12,5% de la masse totale du cerveau, comparativement à notre 1%. Mais ces données, après tout, ne veulent rien dire : elles ne peuvent pas nous faire comprendre exactement ce qu’elles signifient, quelles émotions elles impliquent et quelles conséquences elles ont pour sentir le monde au lieu de le regarder. C’est la distance et la différence infranchissable entre moi et Shylock, entre moi et Bonnie : nous vivons dans deux univers différents, dans deux représentations différentes et à leur manière parfaite de l’univers. Et autant que nous pouvons nous entendre, nous comprendre et nous aimer les uns les autres, une proximité infranchissable nous unit et nous sépare.